Paul EUDELINE
TEXTE
COMMENTAIRE THÉORIQUE / CRITIQUE




Abílio Dias - Future Brilliant
Brésil / 2023 / Couleur / Black Magic Cinema Camera 4k / 121’


De l’inscription du corps dans le cadre :

Future Brillant, premier long-métrage du brésilien Abílio Dias — visible en première mondiale et compétition internationale au DOCAVIV 2023 —, dresse le portrait de la famille du réalisateur et plus particulièrement celui de sa sœur Gisele, qui, ayant subi une paralysie cérébrale à la naissance se voit dépendante de ses proches.

Le grand intérêt du film vient selon moi de ses cadrages et décadrages dans ce qu’ils laissent apparaitre des corps, régulièrement fragmentés, de cette famille et en particulier de celui de Gisele, corps quasi invisibilisé dans le cinéma, que le réalisateur va s’évertuer à inscrire progressivement sur toute la durée du métrage.
Ces cadres, en majorités fixes, semblent ancrés dans leurs espaces, en regard avec la fixité de Gisele. Il s’agira presque systématiquement d’évènements qui se mouvront en son sein — pages de classeur, travelings automobiles, rideaux ou volets qui s’ouvrent sur un paysage ou se ferment pour une possible intimité (à 1h10 dans l’image et à 1h40 dans le son) —, avec peut-être deux exceptions : le carton sur l’avenir radieux où la caméra suit la lecture du texte, et en fin de film, un panoramique traçant le portrait d’Abílio à Gisele. Ainsi, dans les deux scènes d’exercices de Gisele (à 20min) et de son père (à 51min), la caméra, dans son mouvement vertical, semble moins chercher à suivre ces entraînements qu’à tenter d’inscrire la présence physique de ses modèles dans leurs hauteurs.
Dans ce sens, une suite de plans (vers 11min) témoigne de la volonté du réalisateur d’éprouver son cadre dans ses grands traits. Abílio, sur une piste d’athlétisme, marque par sa course l’enregistrement de sa physicalité dans l’ensemble de son canevas. D’abord dans la profondeur de champ : Abílio, dos à la caméra, s’enfonce dans la piste et dans un plan frontalement opposé rejoint la caméra depuis le fond de l’image. Puis dans sa profondeur doublée de sa largeur : Abílio effectue un virage inscrit à l’avance par les marques blanches au sol. Et enfin un dernier sur l’ensemble de sa largeur.

Une dialectique du montage assez simple : Abílio regarde un lampadaire, suivie d’un gros plan sur la lumière de celui-ci avec en voix off un éclairage sur sa vie. Ou encore Gisele qui regarde à travers la fenêtre de la voiture, suivie d’un plan sur ce qu’elle y voit et discussion autour du sujet. Pas révolutionnaire certes, mais cette idée à cela de juste quand celle-ci, dans son lit, à pour vue l’angle de son plafond que le film pointe naturellement (à 26min24) et cela sans tomber dans la littéralité d’un cadrage reproduisant ses mouvements — ce qui serait assez douteux.

Le montage appuie régulièrement les parallèles entre motifs : les valeurs de plans tracés par Abílio dans le stade évoqué plus tôt sont rejouées (à 1h24), tout en se liant aux exercices de musculation du père — éprouvant encore plus littéralement la largeur du cadre —, à sa course stabilisée par ce tapis (à 51min), ou encore aux exercices de Gisele. Il y en a beaucoup, entre les trajets automobiles où passagers et conducteurs s’alternent, les monologues d’Abílio en regard d’une lumière, les plans de ciel, ou la répétition des exercices d’anglais sur l’avenir radieux.

Quand dans un premier temps les corps s’inscrivaient sur les bords du cadre — dans la constante fluctuation de leurs apparitions, comme pour mieux insister sur leurs ancrages et l’existence même de ces limites, et dans la rigueur de ce cloisonnement du regard à une même et fixe vue —, ils viennent à se centrer progressivement pour conclure sur un dernier portrait de Gisele pleinement cadré. La marge c’est ce qui fait tenir la page disait Godard, et puisqu’ici le réalisateur se concentre directement sur celle-ci — sur ce corps et cette personne en marge du cinéma —, on pourrait voir ici que c’est les contours ou les bordures qui font tenir le cadre.

Mais outre toutes ces qualités formelles, l’objet affirme tout autant témoigner de la personne qu’est Gisele avec comme point d’attache ce brillant futur — comprenant parfois des questions profondément et justement pragmatiques jusqu’à l’apprentissage de cette nouvelle langue.

Une recherche de désinvisibilisation d’un corps qui en contraste avec la placidité de l’image peut amener une certaine âpreté par la progressive frontalité de certains plans, notamment quand ceux-ci nous donnent à voir l’intériorité de la bouche de Gisele ainsi que les aliments bientôt ingérés qui s’y trouve, mais qui questionne peut-être d’autant plus le regard que l’on porte à cette présence.

Jamais misérabiliste ni gratuit dans ses effets, fin dans son propos, une très grande réussite en ce qui me concerne.