Victor Oozeer | Incidences




2020 | 17 minutes | HDCAM, Téléphone, Super 8 numérisé, Stéréo | France






Une image tremblante, noire, laisse par intermittence, comme pour un feu d’artifice, apparaître des surgissements de lumière qui permettent à peine de discerner le visible. Puis un appartement, dans la pénombre, vide jusqu’à ce qu’un corps de femme s’avance dans la fine bande de lumière et que ses mains soient vues à peler un oignon. Deux plans qui partagent le surgissement de la lumière, que vient souligner un poème d’Emily Dickinson évoquant les lumières inconnues, vives comme des éclairs qui viennent strier le ciel nocturne. Se présentent ainsi, dès l’ouverture, les paramètres qui conduisent Incidences : interaction entre poèmes et images qui, entre illustration et explication, relève surtout de l’éclaircissement mutuel ; contrepoint entre espaces traversés, souvent indistincts ou seulement partiellement identifiables, et contemplation du corps de l’autre, abordé par fragments et gros plans ; jeu de présence et d’absence, de corps attendus et absents ou surgissant à nouveau comme une apparition. Incidences travaille en images argentiques, s’attarde sur la texture, le flou, l’éclat lumineux. Le pan d’une robe tendue par une poitrine fait écho aux plis d’un rideau à travers lequel filtre le soleil du dehors. Ce que le film construit patiemment, avec poèmes et fragments d’espaces et de corps pour matériaux, est un rapport au monde ayant pour guide l’amour de l’autre, où la contemplation de l’être aimé irrigue et hante l’émerveillement face au sensible. 

— Nathan Letoré, FID Marseille (2020)





· Festival International du Cinéma de Marseille (2020) : Compétition Flash
· FestiFreak, La Plata (2020) :
Muestra Internacional de Cortometrajes
· Biennale Internationale du Design de Saint-Étienne (2022) : Le monde sinon rien


Fiche technique


Version originale : anglais
Sous-titres : français ou espagnols
Réalisation, Scénario, Montage, Distribution : Victor Oozeer
Image : Victor Oozeer, Chloé Pechoultres
Son : Victor Oozeer, Xavier Fontanier
Avec : Chloé Pechoultres
Production : Victor Oozeer, École Supérieure d’Art et Design de Saint-Étienne



Entretien avec Olivier Pierre, FID Marseille (2020)



Incidences nous emporte dans une rêverie où des paysages se mêlent aux apparitions d’une jeune femme. Comment avez-vous élaboré le film ?

Incidences s’est construit en quatre temps. J’ai d’abord réalisé un film par an sur trois années consécutives avant de rassembler ces trois films dans un dernier montage. Je filmais des paysages avec différentes caméras, en amateur, constituant un journal. Il manquait néanmoins à mes yeux une figure humaine autour de laquelle ces paysages graviteraient. Je vivais avec Chloé Pechoultres qui est devenue assez naturellement cette figure manquante autour de laquelle articuler le film.


Des fragments de poèmes d’Emily Dickinson résonnent crescendo avec ces plans. Qu’est-ce qui vous intéressait dans son œuvre ? Comment avez-vous sélectionné ces textes et pourquoi les donner à lire à l’écran ?

Les poèmes d’Emily Dickinson sont apparus tardivement. Il se trouve que pour elle, tout est poésie, la poésie est inspirée de la vie ordinaire. C’est également un principe actif de mon film, comme pour des cinéastes que j’ai beaucoup regardés, je pense par exemple à Jonas Mekas ou, d’une autre manière, à Jean Eustache. L’écriture d’Emily Dickinson joue de la suspension, du contraste entre le proche et le lointain, elle questionne la présence, pose le sujet mortel face à l’éternité divine. L’amour chez elle est de l’ordre du religieux et la lumière tient donc une place centrale dans le décor qu’elle crée. Elle est connue pour avoir eu une vie assez solitaire dont la limite est le jardin et l’imagination. J’ai ainsi projeté au fil de ma lecture de ses œuvres complètes les séquences que j’avais déjà montées autour de Chloé Pechoultres, qui en devenait le double par substitution. Je donne les textes à lire à l’écran pour que le spectateur puisse faire l’expérience d’une réversibilité entre des images et des mots, choisissant les poèmes à l’aune des ressemblances que j’y trouvais entre son écriture littéraire et mon écriture cinématographique.


Vous alternez des plans tournés en numérique et en argentique, en couleur et en noir et blanc. Comment avez-vous travaillé l’image avec Chloé Pechoultres ?

J’ai d’abord travaillé l’image, seul ; Chloé Pechoultres étant mon modèle – au sens bressonien du terme. Les différentes caméras m’ont permis d’accumuler et monter des points de vue variés, dissociés par leur format, sans pour autant leur assigner un rôle narratif particulier. Chloé Pechoultres est intervenue pour clôturer le tournage. Dans la mesure où elle avait assisté à l’élaboration du film et même à ma découverte du cinéma en général, elle savait quoi enregistrer et, sans trop de consignes, elle est revenue avec des rushes parmi lesquels j’ai sélectionné des images qui se liaient aux miennes. Ainsi, son regard a fabriqué celui de son propre personnage.


Le travail sur le son accentue l’impression de réminiscences d’instants vécus. Comment l’avez-vous conçu ?

Si les textes d’Emily Dickinson structurent le film, le son en est l’élément conducteur. Un son lancé sur une image peut en appeler une nouvelle, participer à l’unité d’une séquence, introduire une dialectique entre ce qui est entendu, ce qui est vu et ce qui est lu. L’image est d’abord une surface qui peut renvoyer à celle de la page mais le son agit plus immédiatement en profondeur, il change la perception des surfaces en question, produire leur hors champ. Puisque je travaille majoritairement en Super 8, le son est souvent enregistré séparément des images, mais prélevé dans les mêmes conditions. Xavier Fontanier, compositeur, a participé à l’élaboration sonore de la première partie du film qui a donné le ton pour la suite du montage.


Le film passe par des apparitions et des disparitions, de l’ombre à la lumière.

Comment avez-vous créé ce rythme au montage ?

Comme le tournage, le montage est empirique et les décisions sont souvent liées à des raisons sensibles qui devaient permettre une fluidité du cours du temps malgré les fragments disparates qui composent le film. Le fait qu’il était d’abord composé de trois parties a produit trois mouvements intrinsèques même s’il ne s’agissait pas d’un simple bout à bout. Le montage est construit comme une apparition suivie d’une disparition, ou plutôt d’une dissolution, et alors d’un retour.


Comment interpréter le titre, Incidences ?

Comme l’indique le pluriel, dans tous les sens du terme.