TEXTE
COMMENTAIRE THÉORIQUE / CRITIQUE
Lisa Swieton et Victor Oozeer : La forme d’une ville
France / 2022 / Couleur et N&B / 35mm et 16mm / 42’
Film présenté en première mondiale pour la 12e édition de la Biennale Internationale de Design de Saint-Étienne dans le cadre de l’exposition Le Monde sinon rien.
À l’initiative de ce projet, une commande de la cinémathèque municipale de Saint-Étienne pour la réalisation d’un film sur la base de près d’un siècle d’archives. Hors d’une description didactique de la ville, le point de vue déployé s’oriente davantage vers une représentation sensible que le couple va construire par leurs réappropriations d’images, de sons, de paroles et de la rare matière textuelle présente dans les films d’origine.
Dès les premières secondes – dans ce qui pourrait-être une vue d’ensemble –, la ville apparait sous-exposée, confondue à l’obscurité de la nuit, seulement justifiée par quelques éclairages urbains. Plus tard, quelques bâtiments, rues ou places, seront davantage reconnaissable – l’hôtel de ville et la place éponyme qui lui fait face, la place Jean Jaurès, la Grand’Église, l’opéra, l’ancienne comédie ou – marqueur plus identifiable s’il en est – le site minier du puits Couriot entouré de ses crassiers – souligné par quelques paroles, notamment celle du discours du 23 février 1921 de Yves le Trocquer.
Le choix du ralenti dans une partie des images ne semble pas orienté comme une recherche uniquement esthétique, mais témoigne d’une considération significative quant aux archives. Certes, l’esthétique du procédé renvoie potentiellement au régime du souvenir, mais surtout, par cette dilatation, approfondis l’inscription des images dans le temps. L’effet est d’autant plus marquant quand le ralenti offre un temps saisible pour chaque photogramme, inscrivant ainsi plus précisément chacun d’entre eux comme témoin d’une égale valeur. Dans le même ordre, les sautes de pellicule participent au caractère signifiant du matériau en retranscrivant les sauts dans le temps opéré entre les époques dues au principe d’archives. Le ralentissement du son – bien qu’évoquant là aussi le registre du souvenir –, semble quant à lui davantage participer d’une attention sensible, orientant l’esthétique des images d’une grave tonalité.
Des insertions textuelles, construites sur la base d’intertitre, viendront s’immiscer entre les séquences – « Nous traversons des temps », « Les temps nous traversent », « En ces temps », « Jadis, » –, déchronologisant là encore les images de leurs contextes pour les inscrire dans une forme intemporelle.
Des jeux de motifs significatifs éclaircissent les relations entre les images, de la matière molle d’un atelier de verrerie nous passons à une possible reproduction de La tribu de Joseph, vitrail de Chagall, à un tisserand segmenté à travers les fils droits de son métier, aux tiges tortueuses d’un parvis de plantes et de fleurs, du feu créateur de la forge, à l’eau assainissant les rues, au jet de lance à incendie, aux brûlages des chaumes – confortant la position cyclique et intemporelle.
La valeur du film tient autant dans l’exploitation des propriétés de temps inhérente au médium filmique qu’à ses qualités plastiques – affirmant la aussi la matérialité du médium par le caractère prononcer des contrastes –, en particulier la splendeur des nombreuses séquences en couleur qui témoigne d’une réelle maitrise à faire image. Il y a quelque chose d’assez insensé où, par de simple appuie de couleur, ils parviennent à renvoyer certaines séquences tantôt à une imagerie américaine propre aux années 70-80 – en début de film avec la sortie du théâtre –, tantôt à des réminiscences des travaux de Tarkovski – avec les images de brûlis évoqué plus haut –, qu’aux estampes japonaises de Kawase, Hiroshige, Okada ou Hokusai – transformant le crassier en mont Fuji par l’appuie de fleures roses – pour se clôturer sur l’image d’une jeune fille qui en rappelle une autre, d’une séquence qui leur est chère, une certaine Oona Mekas.