Paul EUDELINE
TEXTE
COMMENTAIRE THÉORIQUE / CRITIQUE





Ollin Blood

d’Élise Florenty et Marcel Türkowsky

France, Mexique | 2022 | 71 min

Film présenté en première mondiale à la 53e édition des Visions du Réel en 2022 dans la Compétition Burning Lights.


Olmo : « Les fleurs bleues qui sont derrière les montagnes et qui parlent... Toi, qui dit tout savoir, interprète-les (...) Voilà ce que j’étais en fait : Un passeur de rêves. »

Ollin blood est l’une des pièces du projet Nomina nuda initié en 2017 avec le film Conversation avec un cactus et l’installation Fusuma-Bolide K Atlas réalisée en 2019. « Nomina nuda peut-être traduit en latin par « nom nu », des noms auxquels on aurait enlevé leurs habits, des noms entre la perte et le devenir, des noms que l’on donne à des espèces animales ou végétales qui n’ont pas encore été validé par une description et une illustration scientifique, des noms temporaires... Nomina nuda place les choses en attentes, non pas de réanimation, mais de renomination et insiste sur le fait que les noms ne sont pas des instances figés »1.

Ici, Ollin signifie movimiento, en mouvement, Ollin Blood signifierait donc le sang en mouvement, la rotation, le cycle du sang. Le film s’ouvre dans la forêt de cactus de Zapotitlan de Salinas où des paysans et gardiens sont réunis autour d’un feu et écoutent les enregistrements de l’un d’entre eux : les lamentations d’une possible déesse, la Llorona, annonçant un futur malheur dont nous apprendrons plus tard la nature : l’approche d’une pandémie. C’est de ces histoires contées par ce narrateur que la circulation entre les rêves débute. Nous retrouvons Toshi, confident de Mei dans Conversation avec un cactus, qui se retrouve malgré lui à incarner le rôle d’un étranger japonais dans une spirale transmutative organisée par Sol, metteuse en scène d’une pièce de théâtre. À ce mouvement se joint Olmo, artisan céramiste de la ville, qui dans ce jeu de renomination deviendra un passeur de rêve, quand Toshi sera la mort et Sol la nuit / le soleil.
Dans l’ivresse mystique causée par cette pièce et alimentée par les détours fantasmagoriques du conteur, les personnages viennent à se confondre à leurs visions. Toshi, troublé, en manque de repères, « autant concret que symbolique, autant réel qu’onirique », dit ne pas vouloir être invisible derrière le masque. Olmo quant à lui, se détache dans les visions du problématique botaniste allemand Curt Backeberg après la lecture de son livre La chasse au cactus. Il existera sous la forme d’un double onirique, un doppelgänger interprété par Marcel Türkowsky plongé dans une quête délirante de graines de Sotolìn ou Pied d’éléphant. « Une conquête dans le règne de la flore. Sous le ciel des divinités, des cactus, des Aztèques. Dieu du feu Huichol. Maître du Jiculi. Blazon Anahuac. Mayahuel. Nochtepec. Teonochtli. Cactus-soleil sacré. Sacrifices d’esclaves sur cactus oursins pour honorer Mixocoatl... »2.

La figure du cactus apparaît comme mythifiée, agissant comme liant entre les espaces et les temps. Elle échappe à une même représentation, comme si par cet effacement même elle suggérait la manifestation des esprits convoqués. Dans l’une de ses apparitions le cactus-oursin se confond de ressemblance avec une piñata stylisée en virus, qui par son éclatement exorcise ce mal et, dans un plan miroir d’un cactus mort et desséché, se connecte à un nouveau rêve, comme l’engrais d’un possible corps perpétuant les traditions pré-hispaniques, comme une matière qui active les relations entre l’histoire des peuples qui ont vécu auprès de lui à des histoires plus récentes, du début de la mondialisation à leurs effets actuels. Insaisissables, ces cactus disparaissent confondus dans les ombres du mouvement constant des lampes, comme si, dans leurs qualités de forêt, ils ne pouvaient être saisies dans leurs globalités.

Le montage, assuré, est composé d’une superposition de micro récits qui construisant une histoire plus grande, comme pourraient être les couches d’un rêve. Chaque séquence affirme le passage à un nouveau stade onirique, induit ses inaccessibilités et approfondit par la même le sol commun réunissant les personnages. Dans un entremêlement de couches traduisant les nombreuses figures de ce récit, l’image vient à se transformer dans des compositions stylistiques propres au régime du western rapidement amené à se briser à la rencontre d’image plus brute, filmé comme embarqué par son personnage-guide, entre enchantement et désenchantement.

Bien que le film semble chaotique dans sa forme, il a un souci constant d’éclaircir les relations entre les séquences. Dans ses transitions nous passons d’un cactus filmé à son image photocopié vu à travers un écran, du soleil vu sur une image de streetview à sa prise de vue réel, d’un masque posé sur des yeux à la vision réincarnée d’une de ses fables de nuit. Ainsi, malgré cette volonté de clarté dans les relations visuelles ou narratives, il y a toujours des couches insaisissables, en attentes : « Rien n’est vraiment explicité tout reste de l’ordre de l’interprétation et le spectateur reste émancipé. »





1 Citation d’Élise Florenty extraite lors du séminaire «Que peut le récit ?» : Nomina nuda avec Marcel Türkowsky aux Beaux-Arts de Marseille le 17/03/21.
2 Texte extrait du film.