Paul EUDELINE
ENREGISTREMENT AUDIO



Et de l’extérieur sur l’intérieur II : de l’appareil auditif (2024)



• Enregistrements :
1.0 - 18-07-24 : 
https://freesound.org/s/760189/
2.0 - 19-07-24 :
 https://freesound.org/s/760199/
3.0 - 19-07-24 : 
https://freesound.org/s/760200/
4.0 - 21-07-24 : 
https://freesound.org/s/760202/
5.0 - 22-07-24 : 
https://freesound.org/s/760315/
6.0 - 23-07-24 : 
https://freesound.org/s/760204/
7.0 - 31-07-24 : 
https://freesound.org/s/760205/
8.0 - 04-08-24 : 
https://freesound.org/s/760198/


• Édition [PDF] : https://files.cargocollective.com/c1862101/Et-de-l-ext-rieur-sur-l-int-rieur-II--2024---DITION-.pdf





Description :

« Et de l’extérieur sur l’intérieur II : de l’appareil auditif » (2024) est une série de huit enregistrements audio captés depuis les fenêtres de mon appartement faisant suite à l’installation de films « Et de l’intérieur sur l’extérieur II » (2022) — traitant de la vue de la fenêtre de ma chambre —, et à l’édition « Et de l’extérieur sur l’intérieur : de l’influence du vent » (2023) — traitant du mouvement des battants de la fenêtre dite due au souffle du vent.

Capté en stéréo au moyen d’un Micro Zoom H2n, l’enregistreur a tout d’abord été placé sur le rebord de la fenêtre de ma chambre, puis pour éviter une surprésence de sons provenant de l’intérieure de celle-ci, sur celle de mon salon — situé à 3 mètres d’intervalle et où ma présence sonore est moindre — dans l’appartement que je loue au premier étage d’un immeuble du quartier de la Croix-Rousse à Lyon.
Les prises de son ont été effectuées entre le jeudi 18 juillet et le dimanche 4 août 2024 sur une plage horaire s’étalant de 7h30 à 1h30 afin de saisir un panel suffisamment représentatif des possibles ambiances sonores de ce milieu d’été 2024.
La durée des enregistrements varie de 1h18 à 2h49 avant coupes, et de 1h07 à 2h25 après celles-ci. Les coupes ont été réalisées dans le but de supprimer un certain nombre de bruits n’ayant pas leurs places dans l’enregistrement — discussion avec des proches non avertis, pocs, toux... —, ou dont le volume sonore pouvait être trop élevé du reste du contenu — moto, voiture, camion... —, et ont ainsi été camouflé par des fondus audio. Aussi, un fondu d’environs 10 secondes a été ajouté en début et fin d’enregistrement, ainsi que 6 secondes 10 de silence complet avant la coupure de chaque morceau.

Si la grande majorité des sons proviennent de l’extérieure de l’appartement, une partie vient donc de l’intérieur : dans les grincements de mon siège ou de mon parquet, dans l’allumage de mon briquet ou dans le travail effectué sur mon ordinateur — qui à quelques reprises concerne cette série même. Il paraissait donc naturel de conserver cet ensemble de sons dits « intérieur » participants de l’ambiance sonore de ce lieu sur lequel la série gravite, mais en réduisant son impacte en déplaçant le micro vers la fenêtre du salon comme précisé plus tôt.


L’écoute :
Il n’y a pas de contraintes vis-à-vis l’ordre d’écoute des différents morceaux. Il peut être aléatoire, en fonction des envies ou des contraintes de l’espace dans lequel le son est exposé, dans un ordre respectant la chronologie du tournage, ou dans un autre respectant la chronologie d’une journée.

Les enregistrements ne peuvent en aucun cas être utilisés à plein volume comme son ambiant d’installation, le son des véhicules étant trop envahissant pour laisser la possibilité d’exister d’autres médiums qui n’auraient pas été créés dans cette attente. Aussi l’utilisation d’un casque ou d’un dispositif de diffusion sonore dirigé serait grandement appréciée.


Édition :
Comme pour les précédentes propositions de la grande série, ce travail-ci est accompagné d’une édition comprenant un ensemble d’informations concernant l’ensemble de l’étude et chacun de ses morceaux. Ainsi, pour chaque pièce audio, un certain nombre d’évènements dits marquants — intérieur et extérieur — ont été annotés, allant des grincements cités plus tôt aux tintements de cloches d’églises, aux bribes de paroles identifiables entre les passages de véhicules.
L’objectif n’étant pas d’être exhaustif, il y a sans doute quelques annotations manquées, de paroles non retranscrites, de ronflement de moteur ou autre, mais ce qu’il y a de plus notable est là.


Tentative d’analyse :
Comme précisé plus tôt, les enregistrements témoignent de deux environnements mêlés : les sons intérieurs et extérieurs. L’enregistreur étant disposé sur le rebord des fenêtres, il est le marqueur physique de cette frontière.

Les sons intérieurs témoignent de mes occupations en période de travail. Ces sons, sporadique dans leurs apparitions, commun dans leurs contenus et modeste dans leurs sonorités, sont probablement la couche la plus sensiblement pauvre du format.
Ils contiennent cela dit quelques beaux mots inattendus, notamment dans le morceau n°4 à 1h16min17 le très beau : « Il fait chaud, chaud chaud chaud chaud chaud » — sur lequel il est nécessaire de brièvement s’arrêter : Graal des brèves paroles glanées, c’est dans ce genre de réflexions de grandes banalités que le dispositif témoigne, en ce qui me concerne, de son plus sensible intérêt. De ces petites paroles, parfois confondante de par leurs niaiseries ou de leurs platitudes tout autant que troublantes par le souffle de vitalité qu’elles dégagent. Ces formules, certes dites toutes faites — sans que l’on sache pour autant en faire une liste exhaustive —, mais détaché de tout propos, intentions ou arrière-pensées, qui échapperait au contrôle de l’individu, comme une plainte qui ne peut être refoulée, ou à l’inverse manifestant d’un plaisir incontrôlé. Ces non-propos, échappés de la bouche comme de la pensée, si indissociable du présent que plus grandes en est leurs banalités, plus grande elles en sont le reflet. Ces sentences, dont aucun autre mot ne serait faire davantage état de la plus précise actualité, lancées vers le néant quand ce n’est pas pour tenter vaguement de le combler. Ces décrets enfin, qui ont en commun avec le plus grand nombre et dont il faut se méfier, car s’ils peuvent servir de lubrifiant à la société1, ils peuvent aussi en organiser la conformité. Tout cela, cette banalité du quotidien clamé, c’est le souffle de l’humain en train de vivre le présent, c’est le dévoilement de sa profonde intimité avec celui-ci, c’est ce présent même qui fait état de son existence, et par là, peut-être pour les seules fois, le réel exprimé de vive voix — confondus par leurs modestes banalités, elles demeurent parmi les superbes manifestations que désigne l’art de vivre.

Les sons extérieurs témoignent quant à eux et avant toute chose de la vie du quartier. Bien plus constant que les sons intérieurs, il n’en demeure pas moins commun dans ce qu’ils expriment ni diversifié dans la variété de leurs sonorités. Faignant d’être rythmé par les sonneries civile ou religieuse des églises avoisinantes, l’environnement sonore est particulièrement marqué par la présence redondante et quasi cyclique de véhicules à moteur — malgré la beauté primordiale de la récurrence. Comme précisé précédemment, certains de ces sons ont préféré être supprimés tant leur impacte était néfaste sur la qualité d’écoute de l’ensemble du projet.
Cependant, à la différence de leurs pendants intimistes, ceux-ci sont plus expansifs en bribes de bavardages jetés, en interjections lancées, en petits mots abandonnés — bien que n’en contenant aucune s’apparentant aux banales paroles évoquées précédemment. Ces bribes, morceaux de discussions et phrases sorties de leurs contextes, constituent selon moi, la seconde couche sensible de ce format. Celle-ci peut être détaillée en quatre points:
D’une part, l’enregistrement et la diffusion de ses morceaux permettent l’inscription de ces paroles dans leur temps, à la fois comme témoignage du contexte social du quartier, mais aussi de manière plus formelle dans l’inscription du langage par l’utilisation de certains mots ou formulation — qui ne pourrait exister avec autant d’éclat autrement que par enregistrement caché.
Le second serait la considération de la parole fragmentée comme forme de parole n’existant que pour elle-même, car sortie de son contexte et ne valant plus dans son sens initial.
Le troisième se joint au second dans la retranscription écrite de ces paroles en amenant à se détacher encore du contexte premier en supprimant les intonations et en déplaçant donc l’objet d’intérêt en forme textuelle n’existant que pour elle-même.
Enfin, le quatrième point marquant l’intérêt sensible de cette couche se trouve dans la mise en forme de ses retranscriptions au sein d’une page dans un double mouvement inverse et continu: inverse, car rétablissant une nouvelle continuité à ses fragments dans une forme proche d’un dialogue de sourds, et continu par l’éloignement encore du premier contexte.





1 Ce terme de « lubrifiant de la société » est repris du film « Bonjour ! » de Yasujiro Ozu au personnage interprété par Keiji Sada dans un dialogue avec celui interprété par Sadako Sawamura :
« K. S. : - Les salutations des adultes vues par des enfants, ça sonne sans doute comme des formules creuses.
S. S. : - Certes, mais ce sont ces formules qui m’aident à vendre des voitures... Sans elles, ça ne marcherait pas.
K. S. : - En fait, ces formules sont le lubrifiant de la société. (...) ».

Puis dans une des scènes concluant le film, en attente de l’arrivée d’un train en gare, Keiji Sada accompagné cette foi par Yoshiko Kuga applique brillamment ces formules :
« K. S. : - Tiens, bonjour !
Y. K. : - Bonjour ! Merci pour hier !
K. S. : - De rien...
Y. K. : - Où allez-vous ?
K. S. : - À Nishi-Ginza.
Y. K. : - Ah bon ! Dans ce cas, nous voyagerons ensemble.
K. S. : - Quel beau temps !
Y. K. : - C’est vrai... Il fait très beau !
K. S. : - Ça a l’air parti pour durer 2 ou 3 jours...
Y. K. : - Comme vous dites... Ça a l’air bien parti.
K. S. : - Vous avez vu ce nuage ? N’a-t-il pas une forme curieuse ?
Y. K. : - C’est vrai... Une forme curieuse.
K. S. : - Il ressemble à je ne sais quoi...
Y. K. : - Oui, il ressemble à je ne sais quoi...
K. S. : - Quel beau temps !
Y. K. : - Il fait vraiment beau ! »


+  Voir : « Gris » (juin 2024)